Indierockmag – Leoluce – 01/04/2011 – link
Succédant au masque africain de Facial, la forêt sombre d’Alliance cache une musique en perpétuelle évolution : toujours tribale et instinctive, certes mais cette fois-ci K-Branding explore de nouvelles pistes, expérimente de nouvelles ambiances et ajoute une corde supplémentaire à son arc fondamentalement impétueux, celle de la retenue.
En 2009, K-Branding extrait de sa formation chiche constituée simplement d’une guitare mordante, d’une batterie carrée et d’un saxophone furibard un premier long format « officiel » (après une tripotée de CD-R au nombre de copies limité) sobrement intitulé Facial. Un disque dont le masque africain qui orne la pochette me dévisage encore de ses yeux noirs et vides, trônant en bonne place dans la pile d’albums qui ne s’éloignent jamais trop loin de la platine. En 2011, le voici rejoint par la forêt grise, bleue et noire d’Alliance. Et là aussi, il y a fort à parier que ce second opus du trio bruxellois n’aille jamais rejoindre les étagères du haut, celles dont les disques finissent inexorablement par prendre la poussière. D’abord parce qu’Alliance retrouve les fulgurances industrielles et noise de Facial mais aussi parce que le trio y adjoint des accents inédits, bien plus contemplatifs, presque ambient à certains moments, à l’image de la longue introduction inquiète du premier morceau.
Autre changement, la voix qui faisait parfois de timides apparitions de-ci de-là dans le cyclone furieux et majoritairement instrumental de Facial est ici certes mixée en arrière mais bien plus présente. Déclamatoire, criée et pour tout dire séant parfaitement à cette musique azimutée qui aime lorgner du côté du free jazz. Bref, Alliance montre que l’inaugural Facial, loin de n’être qu’un coup d’épée dans l’eau, constituait bien l’acte fondateur d’un groupe dont on aimera désormais suivre les explorations cosmico-industrielles. Et encore, c’est pour faire vite car à mélanger d’une telle manière free jazz et noise rock, dub mortifère et électronique larvée, musique industrielle aux fulgurances punk et no wave aux scories minimalistes, la musique de K-Branding s’avère bien difficile à étiqueter. Une belle personnalité donc. Toujours tribale, toujours viscérale bien sûr, mais cette fois-ci, le cortex aussi s’invite à la fête, non pas qu’il était complètement absent de Facial, loin de là, mais il semble avoir joué des coudes pour revenir à la surface et apparaître sur le photographie finale et le résultat n’en est que plus saisissant.
Le premier morceau d’ Alliance suffit à poser l’ambiance que cache cette sombre forêt rocheuse : au milieu d’un entrelacs déformé, altéré d’effets électroniques, de percussions sourdes et de larsens stridents, un saxophone rêveur déambule sans trop savoir où il va, rebondit d’un côté, puis de l’autre, les clés dans les poches, tranquille, indifférent aux bruits inquiets qui l’entourent puis subitement, tout se met en place et le paysage épars et nuageux du morceau se fait alors complètement industriel : batterie, cuivre et guitare suivent enfin la même direction dans une dynamique conjointe. Aux errances de l’entame se substitue une répétition cinglante, massive et incisive d’où la guitare, un temps, tente de s’échapper. Un morceau Janus aux deux visages, l’un songeur et absorbé, l’autre pragmatique et véloce. Et il en va ainsi du reste du disque, parfois dispersé, parfois regroupé, un temps méditatif, un temps démonstratif, totalement instrumental mais sachant également faire entendre sa voix, un disque qui aime associer dans le même morceau tout et son contraire.
Quoi qu’il en soit, l’aspect monolithique de Facial explose ici en milliers de débris qui, tous, montrent une facette – qu’elle soit déjà connue ou complètement nouvelle – d’une formation mue par la volonté de ne jamais se répéter. Ainsi Empirism montre dans un premier temps des accents cold wave et déclamatoires puis décide de prendre son élan pour finir par rejoindre les limbes industrielles ; rêverie majoritairement électronique, Gefhar est toutefois parcourue de sombres lignes de saxophone et d’une guitare post-punk et répétitive, pas vraiment agressive mais franchement inquiétante de par son côté monomaniaque. Et que dire de l’épisode Astral Feelings, complètement expérimental ? Une électronique crépitante rehaussée de quelques notes de guitare tranchantes, d’une voix atone et de percussions patraques aux chœurs déformés en contrepoint du refrain chanté. Un morceau-Alzheimer et tremblé, singulier. Parcouru de réminiscences du passé et du présent – les ambiances de Throbbing Gristle et d’Einstürzende Neubauten, une guitare qui convoque parfois les ombres de Siouxsie and the Banshees, un saxophone qui rappelle de loin les fulgurances de Mats Gustafsson ou d’un Zu épuré et moins massif – K-Branding continue à n’être finalement que lui-même.
Alliance fait ainsi preuve d’une diversité salutaire qui voit le groupe – la guitare cisaillée de Grégory Duby, la batterie fine de Sébastien Schmit qui fait aussi entendre sa voix au côté de celle de Vincent Stefanutti qui officie également à l’électronique mais dont entend surtout le saxophone acharné – explorer de multiples chemins entre les morceaux et le plus souvent dans les morceaux où les séquences coulent les unes dans les autres, se succédant sans que l’on s’en rende bien compte et on a parfois l’impression de changer de pistes alors qu’il ne s’agit que d’un nouveau mouvement, un autre visage du morceau que l’on est en train d’écouter (à ce titre, les sept minutes saisissantes de Shields qui viennent clore le disque sont très représentatives). Facial était un rouleau compresseur qui ne s’arrêtait jamais et Alliance sait l’être également mais n’hésite pas non plus à ménager des pauses, des passages plus introspectifs au calme apparent car on sent bien que l’eau gronde sous ses plages éthérées, comme le traduit parfaitement cette pochette à la végétation luxuriante mais qui pousse probablement sur un caillou pelé, des arbres aux troncs majoritairement droits mais aussi en biais et puis surtout que gagnent la nuit ou un ciel orageux, précipitant leur cime vers les étoiles. En apparence tranquille mais qui tire quand même vers l’inquiétant.
Une musique désossée, sèche et froide. Triangulaire, le groupe joue serré, près de l’os et montre une belle cohésion exempte de fioritures tout en charriant des arrangements joliment travaillés. L’architecture est paradoxalement finement ciselée et réfléchie alors qu’on a de prime abord l’impression que le trio se disperse et part dans tous les sens à vouloir explorer trop de pistes. C’est que l’improvisation ne peut naître que de l’organisation. Le cortex encore. Avec cet opus, K-Branding ajoute une pièce de taille à son puzzle furieux et l’on sait qu’on les suivra dorénavant les yeux fermés, fût-ce dans une sombre forêt, pour finir par deviner peut-être ce que le dessin final de leur passionnant casse-tête pourrait bien représenter.
Dans sa façon de rebondir en permanence entre fureur et retenue, Alliance est tout simplement et avant tout un disque brillant.